Les Caravanes oubliées par Nathalie A. Truchot
LES CARAVANES OUBLIÉES
Deux destins croisés, dans l’immensité des déserts. Elle, de son enfance dans l’ex “territoire français des Afars et des Issas” à 45 km de Djibouti pour suivre un père gendarme en mission, a gardé en mémoire une lumière, des couleurs, des rites qui l’ont marquée pour la vie. Lui, bédouin de Bahareyya, croisé bien plus tard lors du tournage d’un documentaire à partir de son premier livre sur l’Egypte, l’amène à passer dix mois dans le désert. Reconnectée à son enfance heureuse, elle trouve là son “chez soi” en même temps que son “ailleurs”.
Et devient Asmaa la musulmane.
Nathalie A. Truchot est journaliste et photographe, spécialiste du Moyen-Orient et des femmes en Méditerranée. Elle est l’auteure de Le Caire, l’inconnu dévoilé (Ed. Spezie Création, 2010)
Les Caravanes Oubliées – Édition Riveneuve – 18 Janvier 2018
Paris, Samedi 27 Janvier 2018
J’ai Rdv au Café des éditeurs avec Nathalie A. Truchot ce samedi 27 janvier midi. Nous sommes en contact grâce à Clarence Rodriguez et le feeling est passé immédiatement. Accompagnée de son futur mari, reporter et beau comme un Dieu, nous allons parler des religions, des cultures et de la France. Le parcours de cette femme magnifique m’intéresse car elle a vécu à Djibouti puis en Egypte chez l’habitant et mon sentiment vis à vis des pays d’Afrique et par rapport aux femmes et si cliché que je souhaite en savoir plus dans l’espoir de m’être trompée. Elle s’est en plus convertie à l’Islam et est devenue Asmaa…
INTERVIEW
D.P : Que veut dire le A entre votre prénom et votre nom ?
N.A.T : Ce “A”cache un deuxième prénom : Asmaa. Dans ce livre, il fallait que les gens comprennent que c’est tout un parcours. Et il n’est pas arrivé par hasard ce A. Il faut lire toute mon enfance et le chemin qui mène à ce A. J’ai préféré mettre le A entre Nathalie et Truchot et laisser les lecteurs découvrir par eux-même.
Pourquoi ce titre ?
Les Caravanes oubliées parce qu’on est dans le désert. Qu’il a évolué. Que depuis mon enfance les choses ont changées, que pour moi à Djibouti ces caravanes ont presque disparu, elles existent encore entre l’Ethiopie et Djibouti pour les transports de sel mais elles se font de plus en plus rares.
Quant aux bédouins dont je racontent l’histoire aussi dans ce livre dans le désert occidental égyptien, les caravanes ne servent qu’à emmener les touristes en trekking mais les vraies caravanes de nomades comme j’ai pu les connaitre ont complètement disparues. Les Caravanes oubliées c’est ça.
Pourquoi êtes-vous partie vivre à Djibouti ?
Je suis partie à Djibouti avec mes parents. Mon père était gendarme et ma mère institutrice. C’est parce que mon père a fait cette carrière que j’ai pu voyager de cette manière là.
Djibouti, c’est le premier séjour de mes parents à l’étranger. Une découverte pour eux, une aventure. Et pour la petit fille de 4 ans que j’étais, fille unique, c’était aussi un déracinement mais pas complètement car je n’avais pas beaucoup de souvenir de français. Donc mes racines se sont mises en place là-bas. Dans les cailloux de Djibouti, dans ce désert avec les bédouins car nous étions en brousse. C’est cette enfance là qui a fait mes racines africaines. Je ne remercierais jamais assez mes parents de m’avoir fait vivre une enfance extraordinaire pleine de liberté, de contrastes et cette ouverture au monde que l’on peut avoir lorsqu’on a eu une enfance riche comme celle que j’ai eue.
Vous avez dû vous faire beaucoup d’amis…
Ça aussi, ça forge une personnalité : je n’ai pas d’amis d’enfance. J’ai compris que ma vie serait faite de rencontres et d’adieux.
Lorsqu’on a quitté Djibouti ça été un choc terrible pour moi. On est parti dans d’autres pays. Repartir à zéro, apprendre une autre langue, redécouvrir un autre pays, une autre civilisation, un autre monde et puis tout quitter à nouveau pour recommencer ailleurs.
Cela m’a appris à rebondir quelles que soient les situations.
Parlez-vous somalien ?
En Somalie, j’ai très vite appris le somalien et j’ai été très vite une vraie somalie.
J’étais tout le temps chez ma voisine, une Éthiopienne que j’adorais, et j’étais devenue quelqu’un de là bas. C’est pour ça que ça était terrible, je ne comprenais pas pourquoi on quittait Djibouti. J’avais presque 9 ans. On quitte tout et on sait qu’on ne reviendra pas. J’ai eu du mal et refusais de parler Français. Mes Grands-parents disaient à mes parents : « mais elle ne parle pas français ? »
Nous avons habité 3 ans en Guadeloupe et j’ai appris le créole.
Nous sommes rentré en France. J’étais adolescente. 9 ans ce sont écoulé avant qu’ils repartent aux Comores. 9 ans difficiles pour moi. Je ne me retrouvais pas dans mes camarades de classe. Les enfants de gendarmes que j’avais connu à Djibouti, puis en Guadeloupe et en France ne vivaient pas du tout les choses comme moi. Mon attachement à mon enfance africaine m’avait marqué à tout jamais. Contrairement à eux.
Ils ont toujours vécu en expatriés. La différence c’est que mes parents m’ont appris à vivre avec les gens.
Mes parents ne rentraient pas en France l’été, ils allaient en Ethiopie, au Yemen, en Tanzanie, et moi j’étais avec mes parents.
J’ai toujours eu cette curiosité sur les autres, sur leur parcours, leur différence, et ça a forgé la personne que je suis devenue. Et l’acceptation de l’autre devient naturelle.
Que vous parliez la même langue ou pas, d’ailleurs. Plus tard en Egypte, lorsque je suis partie seule avec ma caméra , je ne parlais pas l’égyptien, je suis allée dans des quartiers ou les gens se demandaient ce que je venais faire là mais très vite nous partagions des moments. L’empathie et la curiosité pour l’autre est un langage universel.
La France a était une épreuve pour moi. J’avais l’impression que personne ne me comprendrait.
A l’âge de 8 ans j’ai découvert à Addis Abeba, le centre des lépreux, j’ai vu des gens dormir dans la rue dans la pauvreté absolue, j’avais vécu tout ça moi en Afrique!
Et les jeunes que je voyais à l’adolescence voulaient sortir en boite pour s’amuser et moi je pensais surtout à de l’humanitaire. J’avais qu’une idée en tête, prendre mon billet d’avion pour repartir en Afrique. Et pendant 30 ans je n’ai fait que ça. Mes parents ont lâcher prise dès vite. Ils ont compris que j’avais un destin là-bas. Il fallait que j’aille vivre ce destin.
J’ai emmené mes parents avec moi en Egypte. Is ont découverts, puis ils ont compris.
Choisir d’être libre, c’est une épreuve.
C’était un retour vers cet Orient qui m’avait tant manqué.
Quand je suis arrivée en Egypte la première fois, je suis arrivée à Assouan à Nubie. On est proche du Soudan, proche de l’Ethiopie, proche de Djibouti, et les femmes nubiennes ressemblaient beaucoup aux femmes de mon enfance. Ça a été un choc. Je me suis dit : « je vais poser mes valises en Egypte »
J’étais une passionnée d’Egypte et j’avais eu la chance de survoler au retour de Djibouti les pyramides et ça m’avait fasciné. J’ai pris plus tard des cours d’égypthologie. Je suis revenue en France, je suis tombée gravement malade, j’ai failli mourir. Là, ça a été un déclencheur. Je me suis dit : « j’ai 36 ans, je suis sur mon lit d’hôpital, si je m’en sors, rien ne m’arrêtera. Je vais aller au bout de mon enfance. Je vais retrouver mon parcours qui aurait toujours dû être le mien »
Poussée par deux aventuriers, Alexandre et Sonia Poussin je suis partie avec ma caméra à la rencontre des égyptiens.
Je suis arrivée au Caire et là, le choc! J’ai détesté cette ville. Cette ville vous prend d’entrée par son bruit, avec sa population immense, par son gigantisme, c’est monstrueux! Pus je me suis dit non, il y a forcément autre chose derrière.
Je suis allée de rencontre en rencontre et ça a fait très vite une chaine d’amitié. J’ai rencontré un égyptologue : Vassil Dobrev avec qui j’ai vécu des aventures extraordinaires. Et puis un jour j’ai dit Stop. Je vais dans le désert. J’avais vu des photos du désert blanc, qui est le joyau égyptien dans le désert de l’Ouest.
L’appel du désert était plus fort.
Et le parcours que j’avais envie de faire au fond de moi ne pouvait pas se faire au Caire. Je voulais me reconnecter avec mes racines qui étaient plutôt dans le désert. Voilà comment j’ai débarqué dans le désert
Comment avez-vous vécu le désert égyptien ?
Très vite, j’ai retrouvé mes marques. Les bédouins étaient étonnés! Ils se disaient que j’allais resté un mois, 2 mois grand maximum, que je n’allais pas tenir le coup. J’étais la seule Française. Je leur ai dit qu’il y avait Djibouti derrière moi. Et ils ont très vite compris que j’avais été une petite fille « Bédouine ». J’étais très à l’aise avec eux. Je n’avais plus envie de revenir. Il fallait que je découvre ce désert.
J’ai eu la chance d’être avec un bédouin qui portait en lui ses racines nomades. Sa famille était la dernière à s’être sédentarisée dans cet oasis. Cela faisait à peine une vingtaine d’années qu’ils avaient quitté le nomadisme. Et il avait encore toutes les histoires de désert, tout ce que sont père et son grand-père lui avaient inculqué. Il était immunisé par exemple : c’est une tradition bédouine pour pouvoir résister à toutes morsures de serpents ou de scorpions qui se pratique très jeune. Je le raconte dans mon livre.
Je me suis rendu compte que tout ce qu’il me racontait, qui étaient ses racines n’était qu’oral. Les légendes, les histoires réelles, rien n’était écrit.
J’ai la chance d’avoir une plume et il fallait que je mette ça par écrit. Ses souvenirs à lui qui viennent croiser les miens. Son patrimoine immortalisé par écrit sera important pour sa famille et le futur de ces endroits-là. Peut-être qu’un jour ce livre sera en arabe.
Je raconte aussi les légendes de Djibouti. Les gendarmes par exemple qui avait un rôle très important, un rôle sanitaire, de sauvetage aussi. Ma mère qui enseignait au milieu de cailloux avec deux fois rien, c’était une aventure aussi!
Ma mère a été très émue par l’écriture de ce livre mais aussi par mon regard qu’elle a découvert. Elle ne savait pas que je me souvenais de tant de choses et que je lui en rappellerais beaucoup d’autres!
Et ce désert égyptien ils l’ont connu parce que je les ai emmené. Ce qui leur a permis de comprendre mon parcours spirituel. Ils n’auraient pas autant compris si je ne les avais pas emmené voir ma vie là-bas.
Parlez moi de votre spiritualité…
Même si j’avais déjà très envie de devenir musulmane, il fallait que je trouve la meilleure voie pour moi où je me retrouve vraiment.
Le soufisme que m’ont enseigné les bédouins, une branche de l’Islam spirituelle et philosophique, me correspondait.
On met l’accent sur les racines profondément chrétiennes que l’on a. Le premier enseignant du prophète était un moine chrétien. C’est une continuité et lorsqu’on étudie l’Egyptologie on est encore plus convaincu!
Les bédouins m’ont tout simplement initiée à leur manière de penser, à leur manière de regarder le monde, de regarder l’autre, de leur tolérance. Leur manière de prier avec énormément de liberté m’a plu. On est en direct avec Dieu. On a d’abord sa foi pour soi. C’est le coeur qui parle.
Tout cet enseignement là ne m’éloignait pas de la chrétienne que j’étais mais me rapprochait de mes racines. Et dans le désert, on marche, c’est dur, on sent qu’il y a des forces autour de nous qui sont là pour nous soutenir et la spirualité et décuplée dans le désert. C’est très très fort. En Égypte on sent qu’on est dans le berceau d’une civilisation très profonde spirituelle. La spiritualité se dégage partout en Egypte. Le monotéisme est né en Egypte. Il y avait un seul Dieu : RA
J’ai bien étudié le Coran. J’ai fréquenté des gens qui ont bien décortiqué le Coran comme Antoine Sfeir par exemple.
Comment s’est déroulée votre conversion au Soufisme ?
Elle s’est faite un jour de l’aïd par une femme qui parlait anglais qui m’a demandé si c’était sous la contrainte ou si c’était mon choix. Lorsque je lui ai raconté mon enfance, elle a compris d’où ça venait. J’ai prononcé les mots qu’il fallait pour devenir musulmane. Le lendemain il y a eu une grande prière, il y avait 1500 femmes et cette femme est intervenue pour dire que je m’appelais Nathalie mais que maintenant je m’appelais Asmaa . Toutes les femmes ont voulu m’embrasser. Elles n’avaient jamais vu une chose pareille. Et pour les Soufis, voir une autre personne devenir Soufi, c’est un vrai cadeau.
Je ne remercierais jamais assez les bédouins de m’avoir fait vivre ça!
Propos de Nathalie A. Truchot recueillis par Dominique Planche
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