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Flamenco, audace et féminité : la Carmen selon Israël Galván

Israël Galvan, flamenco, avant -garde, audace, humour et perfection, grâce infinie

L’homme qui a révolutionné le flamenco est invité d’honneur du Théâtre de la Ville.Epoustouflant.

 

Encore une Carmen ? Pas du tout ! Il s’agit d’une proposition audacieuse, une version hors norme qui casse les codes comme Israël Galvan sait si bien le faire. Le danseur sévillan qui a changé l’art du flamenco pour toujours est ici au sommet de sa maturité artistique. Machine à rythme, geste parfait, humour toujours, 20 ans que Galvan réinvente le flamenco en prodige avant-gardiste. Sans nous lasser. Sans se lasser non plus, sa créativité n’a jamais tarie, elle ne s’est pas essoufflée.

 

 

Quelle est donc cette proposition ?

Dès le début du spectacle, la guitariste et chanteuse gitane nous prévient qu’elle va donner la VRAIE version de Carmen, celle de Carmen, pas celle d’un compositeur blanc nommé Bizet. Il s’agit donc d’une Carmen jondo, profonde et rebelle dont la conclusion ne saurait être que la tragédie. (Le jondo est un chant antérieur au mouvement du flamenco.)

Zahia Ziouani

Cette production-là m’est apparue comme une vision à la fois poétique et politique d’un féminicide déguisé en passion romantique. Une ode à la liberté des femmes (notez que l’orchestre est dirigé par une cheffe d’orchestre Zahia Ziouani, et que le guitariste gitan est une gitane).

Entre esthétique et hommage à la liberté des femmes, Galvan déploie la richesse de sa créativité pour incarner différents personnages.

 

Couvert au départ d’une longue mantille, il est cheval, puis cavalier, taureau et torero. Éléments de décor également.

Car outre la précision parfaite de ses gestes, Galvan fait preuve d’un humour espiègle qui comble le public autant que ses prouesses techniques. D’ailleurs, quand les musiciennes et musiciens ne jouent pas, iels le regardent, tantôt sérieux, tantôt amusés, toujours admiratifs.


Galvan, cheveux noirs plaqués parés d’une fleur jaune, visage encadré d’accroche-cœurs, chair ferme qu’on aperçoit entre le noir de son caleçon long et ses chaussettes hautes, longs muscles des mollets et du bas des cuisses.
Qu’il évolue en mantille ou qu’il tape d’un talon impérieux et précis à l’extrême, Galvan est la fusion parfaite entre le féminin et le masculin. Et l’incarnation de la créativité.Le voilà habillé d’une traine de métal qui sonne derrière lui, il la décroche, l’empoigne et en frappe une petite estrade de bois clair, son immense petit royaume. Il n’y monte pas comme on l’attendrait, il demeure à côté et frappe le rythme dessus. Rarement là où on l’attend, Galvan renouvelle sans cesse son art, le voilà maintenant sur l’air du toréador sans le jouer ni le surjouer : chaque pied posé sur un petit tapis de mousse, qui déambule sans bruit aucun, comme, juché sur des patins de jadis, cirer le parquet d’une grande tante. Puis il est le cheval qui parade, que l’on force à parader, qui se déporte ou s’emballe soudain, qui finit par tomber sur ses pattes de devant. Bracelet de grelots aux chevilles, plume noire en prolongement de la main, Galvan est un des hommes les plus sensuels et les plus créatifs du spectacle vivant.

Humour et grâce jusqu’au bout des doigts et des pieds, Galvan ne respecte rien et respecte tout. Le public, ravit, joyeux et emporté, applaudit entre chaque scène des 4 actes.
Le dialogue entre chanteurs lyriques (merveilleuse Deepa Johnny) et la cantaora guitariste gitane Maria Marin est fascinant de beauté et de puissance, il fait trembler la sage Philharmonie jusqu’à ses fondations.
Maria Marin entonne du jonto, le public se retrouve au soleil andalou. « Ne t’approche pas des ronces. Les ronces ont des épines », c’est tout de même plus puissant dit en Sévillan !

Maria et Galvan font un sacré raffut, un duo de tous les diables, à la fois doux et fort.
Époustouflant. Ils s’amusent à proposer différentes variantes sur le thème principal de Carmen, à eux deux, ils reprennent la main sur les 52 musiciens de l’orchestre lui- même. Et quand la Carmen vêtue de paillettes apparait avec sa voix aérienne de mezzo-soprano, les deux mondes se complètent et s’entrelacent à merveille. La rencontre est magique, les remparts de Séville apparaissent dans les cœurs du public.
Voici donc une Carmen libre, un spectacle qui se termine par ses paroles à elle  « Libre je suis née, libre je mourrai », criées par les hommes du chœur.
Galvan fait scander le chœur, puis la conclusion du spectacle va au duo Galvan/ Maria Marin pour un final complètement flamenco : la conclusion n’est pas le meurtre, c’est l’amour. Carmen est vengée, Bizet aussi, qui mourut de tristesse d’avoir été rejeté par les critiques, et ne connut jamais le succès de son œuvre. Le public est debout.

Envie de vivre, humour, fantaisie, exagération pour démasquer le mensonge d’un romantisme qui va jusqu’au féminicide, voilà ce que nous avons vu à La Philarmonie.
Ce que l’on retiendra de ce spectacle, comme pour l’ensemble du travail de Galvan, c’est sa grâce infinie, sa créativité infinie. Et sa générosité. Carmen ne se joue plus actuellement, mais si vous voulez avoir la chance inouïe de voir Israël Galvan sur scène, rendez-vous à ses spectacles de décembre.

Quinze ans d’amitié fidèle lient le Théâtre de la Ville et Israël Galvan, l’homme qui a révolutionné le flamenco. Cette saison 2025/2026 le met particulièrement à l’honneur avec 6 spectacles dont El Dorado, La Edad de Oro en octobre, le Carmen dont je
viens de vous parler aujourd’hui, puis, en décembre : Sevillana Soltera en Paris, Israël & Mohamed, et Bailas, Baby.
6 spectacles, 5 lieux et 29 représentations, de quoi apprécier l’amplitude du talent de Galvan, sa poésie, ses fulgurances, son humour toujours.
Pour le plaisir de la découverte ou pour parfaire sa connaissance de l’homme et de son fascinant parcours, on peut retrouver l’artiste dans le portrait Move qu’en a fait Netflix dans sa série sur la danse. Édifiant.

Carmen de Bizet (extraits choisis)
Avec l’orchestre Divertimento dirigée par la cheffe Zahia Ziouani, Israël Galvan signe la conception du spectacle, la chorégraphie et la danse.
Avec le chœur hurleur finlandais Mieskuoro Huutajat dirigé par Petri Sirvio.

À la guitare et au chant : Maria Marin
Carmen : Deepa Johnny
Don José : Robert Lewis
Escamillo : Jean-Christophe Lanièce

By Anne Vassivière

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