L’Arabie Saoudite, les femmes, les jeunes et la culture
QUI EST CLARENCE RODRIGUEZ ?
Clarence Rodriguez a été journaliste correspondante à Riyad en Arabie Saoudite pendant 12 ans. Elle a assuré le suivi et analyse l’actualité politique, économique et sociale en Arabie Saoudite et dans les pays du Golfe pour France Info, France Inter, France Culture, France24, TV5Monde, BFM TV, ITELE, LCI, Radio Canada, Paris Match, Le Parisien, Le Figaro… Elle a été la seule journaliste française accréditée permanente en Arabie Saoudite et la première journaliste occidentale accréditée en 2005. Elle est diplômée de l’Ecole de journalisme de Bordeaux. En 2014, elle a publié “La révolution sous le voile“, chez First. Une série de portraits de femmes saoudiennes qui, doucement, essaient de faire avancer la cause des femmes dans leur pays. En 2015, elle réalise un documentaire de 52 minutes, “Arabie Saoudite, paroles de femmes” (Diffusé sur France 5 dans l’émission Un monde en face), portraits de Saoudiennes qui occupent des activités professionnelles, là où on ne les attend pas… Elles sont surprenantes! Elle est l’auteur du reportage: “la polémique du burkini vue d’Arabie Saoudite“.
Elle a transmis sur sa page Facebook avec la phrase titre “EN DIRECT DE RIYAD… INFOS!!!” les informations de la région avant qu’elles ne soient diffusées ou publiées dans les médias.
Son dernier ouvrage : Arabie Saoudite 3.0. Paroles de la jeunesse saoudienne (Editions Erick Bonnier) défait les préjugés et apporte un espoir d’ouverture certain à l’Arabie Saoudite
J’ai rendez-vous dans un café du 7ème arrondissement à Paris avec Clarence Rodriguez qui arrive, élégante et déterminée. Son sourire et ses yeux appellent à la connaitre.
INTERVIEW
J’ai vécu 12 ans en Arabie Saoudite. J’ai suivi mon époux qui a eu une opportunité professionnelle dans la grande distribution avec mes deux enfants qui étaient très jeunes à l’époque : 3 ans et 4 ans et demi
Après avoir pris un congés sans solde de mon métier de journaliste de région et responsable d’édition à france 3, je suis partie. Je n’y allais pas pour pratiquer mon métier de journaliste car en Arabie Saoudite, être femme et journaliste, c’est une double peine !
Je partais pour suivre mon époux mais surtout pour enseigner le français au centre franco saoudien qui est devenu l’Alliance Française. Ça me permettait de rencontrer des autochtones, des saoudiennes plus précisément. Tant qu’à faire, à vivre en Arabie Saoudite, je voulais me rapprocher de ces femmes pour mieux les connaitre.
Finalement, contre toute attente, j‘ai lancé une bouteille à la mer. J’ai quand même envoyé mon CV au Ministère de l’information et de la communication. Sans piston, sans aucune aide de personne puisque mon mari n’est pas du tout dans ce milieu, au bout de deux mois et demi, j ‘ai reçu mon accréditation qui m’a permis de travailler officiellement pour tous les médias en Arabie Saoudite. J’ai été la seule journaliste occidentale en 2005 à avoir une accréditation en tant que journaliste permanente.
Lorsque je suis rentrée en Mai 2017, j’étais encore la seule journaliste Française a être accréditée. Et aujourd’hui encore, il n’y a toujours pas de journaliste Français accrédité.
Pourquoi moi ? Franchement ? Je ne pourrais pas vous dire.
LA MIXITÉ, LES JEUNES ENTRE EUX, L’HOMOSEXUALITÉ :
LA MIXITÉ EN ARABIE SAOUDITE
Il y a des mariages mixtes en Arabie Saoudite. Alors, ce n’est pas commun, mais ça existe. La mixité est en train d’évoluer. Ça fait parti des combats est en train de mener Mohammed Ben Salmane qui va l’imposer petit à petit. C’est le prochain roi qui est actuellement le prince héritier . On l’appelle aussi MBS.
Aujourd’hui, une femme n’a pas le droit de se trouver dans un lieu public avec un homme qui n’est pas un membre de sa famille. C’est proscrit. Mais c’est en train de changer petit à petit.
Au début, lorsque je suis arrivée, dans les restaurants vous aviez les Family sections et les Family ladies et on ne pouvait pas se mélanger avec les hommes. Là, c’est en train d’évoluer, de changer.
Ce qu’il y a en Arabie Saoudite, c’est que ce sont les mentalités qui doivent changer. La population est tellement conservatrice qu’il y a beaucoup de choses à faire dans ce domaine là.
COMMENT FONT LES JEUNES POUR SE RENCONTRER ?
Dans le livre justement, l’Arabie Saoudite 3.0, Paroles de la jeunesse saoudienne, les jeunes que j’interview m’expliquent comment ils rencontrent et comment ils draguent les jeunes filles.
En fait, c’est un pays de toutes les contradictions, c’est un pays où finalement, tout est possible, malgré les contraintes imposées par la charia qui est la loi islamique . Il peut y avoir de l’adultère aussi. Et tout ça il nous le raconte ces jeunes. Comme ils se rencontrent au quartier diplomatique, dans leur garçonnière, comment ils parviennent à draguer via SnapChat, WhatsApp, les réseaux sociaux. Parce que n’oublions que cette nouvelle génération e Arabie Saoudite est biberonnée aux réseaux sociaux. Les réseaux sociaux ont une place prépondérante comparativement à leurs parents ou grands parents où ça n’existait pas. C’était très compliqué avant. Je ne sais pas si vous vous souvenez, les cassettes avec les bandes et bien ils balançaient des cassettes dans un endroit et il y avait des poèmes et ils draguaient comme ça!
LES GENS SONT-ILS SURVEILLÉS ?
Si un citoyen lambda, un saoudien ou une saoudienne ne constitue un danger pour la sécurité du pays, il n’y a aucun souci. J’étais surveillée de toute façon mais je n’ai jamais eu de censure : c’est quand même important. Ce sont les gens qui sont susceptibles de créer le chaos en Arabie Saoudite, des terroristes potentiels, des gens de Daech par exemple qui sont surveillés, en permanence. Il y a de la censure, bien évidemment mais il yen a peut-être moins qu’en Chine ou ailleurs. Les saoudiens et les saoudiennes savent qu’ils sont surveillés, donc ils font attention à ce qu’ils font.
L’HOMOSEXUALITÉ
L’homosexualité fait partie des sujets tabous répréhensibles, et les homosexuels sont passibles de la peine de mort. Il y a un taux très important d’homosexuels en Arabie Saoudite. Et pour cause ! On empêche les femmes et les hommes de se rencontrer. Alors forcément, les hommes sont entre eux et les femmes sont entre elles. Il y a autant d’hommes que de femmes homosexuels.
Tout le monde sait qui est homosexuel ou non. Mais même si c’est écrit dans la charia, on ne va pas mettre quelqu’un en prison parce qu’il est homosexuel.
LES FEMMES, LA CULTURE :
LES FEMMES ET LE TRAVAIL
Ce qu’il faut bien comprendre c’est que depuis 2 ou 3 ans, l’Arabie Saoudite traverse une période de crise sans précédent. Jusqu’à présent, la population était sous perfusion. C’est à dire qu’elle percevait des subventions pour tout ce qui est santé, éducation, l’eau, l’électricité, l’essence etc. Hors aujourd’hui il n’y quasiment plus d’argent. La rente pétrolière ne suffit plus à subvenir aux besoins de cette population.
Aujourd’hui, on est dans un autre contexte. Les saoudiens doivent payer tout ça et au prix fort.
Les salaires des fonctionnaires ont été divisé par deux.
A cause de la crise économique, l’Arabie Saoudite est en train de vivre une mutation. C’est la raison pour laquelle les femmes sont beaucoup plus nombreuses qu’avant à travailler. On les retrouve partout. Avant, les femmes n’avaient pas le droit de vendre des produits cosmétiques, de la lingerie etc. Elle n’avaient pas le droit d’être caissières dans les grandes surfaces or maintenant c’est une majorité de femmes qui occupent ces postes la.
Elles sont ingénieures, directrices de marketing, elles sont avocates, ce sont des femmes qui occupent maintenant le terrain.
Dans le plan de la vision 2030 qu’a mis en place Mohammed Ben Salmane, le prochain roi, il encourage toute la population a travailler ce qui n’était pas le cas avant. C’était la population d’expatriés qui travaillait beaucoup plus. Vous avez 30 millions en Arabie Saoudite, dont 10 millions d’expatriés.
Travailler pour les femmes est une obligation économique et non pour la cause féministe.
LA CULTURE
Après 37 ans de fermeture, les salles de cinéma vont être désormais ouvertes en 2018 !
Aujourd’hui, il y a des producteurs et des productrices, des réalisateurs, des réalisatrices saoudiens ou saoudiennes, de cinéma, de théâtre. La culture s’effectue en catimini. C’est imminent : la culture va enfin voir le jour. Jusqu’à présent tout se faisait underground.
Il y a des hommes, ils a des femmes qui exercent les métiers d’Arts. Ce n’est pas rendu public encore.
VOS ENFANTS, ONT-ILS ENVIE DE RETOURNER VIVRE LÀ-BAS ?
Mes deux garçons ont vécu leur enfance là-bas. Ils étaient très biens. Ils ont beaucoup aimé. On vivait dans un premier temps dans un campound . C’est une résidence pour expatriés, avec la piscine. Les enfants vivaient comme les occidentaux, ils pouvaient faire du vélo, du roller etc. C’était sécurisé.
Mais au fur et à mesure ils grandissent, et quand on devient adolescent, on a pas les mêmes besoins et les mêmes envies. Ils ne peuvent pas fréquenter des jeunes filles comme ça. La vie pour eux était assez limitée. Lorsqu’ils revenaient en France ou à Paris, ils me disaient que ce n’était pas une vie normale qu’ils avaient là-bas.
Ils se réveillaient, allaient à l’école, revenaient, faisaient du sport, de la natation car à l’école Française, il y avait un club de natation, mais tout est limité. Vous n’avez pas d’activité culturelle, pas de cinéma, pas de théâtre, c’est la raison pour laquelle nous avons décidé de rentrer. Pour nos enfants.
Il y a des satellites là-bas. C’est pour ça que ce pays se doit de s’ouvrir.
Tout le monde regarde des films étrangers, tout le monde est branché sur le monde, et les frontières étaient fermées. Il y avait une contradiction.
Grâce aux chaines satellites, les jeunes voyaient ce qui se passait à l’extérieur, et se disaient pourquoi pas chez nous ?
Aujourd’hui ce qui se passe en Arabie Saoudite est inéluctable
les changements, les transformations, les réformes sociétales sont importants pour que ce pays s’ouvre un peu plus et que les femmes occupent leur place qui leur est dues, et que ce pays ne soit plus uniquement dépendant de la rente pétrolière. Ça c’est une bonne chose. Maintenant, ce que l’on peut récuser et je le dis, c’est la manière avec laquelle ça se fait. D’une façon violente et tonitruante de la part de ce jeune prince héritier. Il a envie que son pays change. Il veut que les choses se passent bien.
La purge du 4 Novembre 2017 lorsqu’il met en détention des hommes éminemment connus, puissants, parce que ces gens là ont mit les doigts dans le pot de confiture. Ils sont accusés de corruption pour certain. Il veut que sont pays soit propre. Et il veut aussi balayer pour mieux régner. Il sait que dans quelque temps, son père qui est le Roi Salmane va mourir. Il a 82 ans et il n’est pas très en forme. Il est en train de préparer son règne. IL ne fait pas non plus des choix judicieux. En Mars 2015, en tant que Ministre de la Défense, il était vice-Prince héritier. Il a entrainé l’Arabie Saoudite dans une guerre au Yémen qui aujourd’hui est enlisée. Il voudrait s’en sortir, quitter cette guerre, sauf que c’est englué et face aux houthis (rebelles chiites) soutenus par l’Iran, c’est assez compliqué. C’est la raison pour laquelle on l’a appelé « Le Prince du Chaos ». Ça, ce n’est pas un bon point. Le 5 juin 2017, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, l’Egypte, et le Bahreïn, ont mis à l’index le Qatar. Accusé de financer les groupes terroristes, l’Arabie Saoudite est donc montée au créneau pour punir le Qatar et imposer un blocus. Ce qui s’est passé avec Saad Hariri, le premier ministre Libanais qui a fait son annonce de sa démission alors qu’i était en Arabie Saoudite.
Ce jeune prince fait des choix qui peuvent être contestés mais cela se passe à l’intérieur de son pays. On peut avoir un regard critique mais ils sont chez eux et ils font comme bon leur semble. ! C’est comme si les saoudiens commençaient à donner des leçons à Emmanuel Macron.
La région n’a jamais été autant sur une poudrière.
Avec Trump qui veut installer son ambassade à Jésusalem alors que tout est installé à Tel Aviv, c’est prendre des risques inconsidérés. C’est allumer le feu dans cette région.
On voit qu’il y a de nouvelles alliances entre Israël et l’Arabie Saoudite, tout ça pour contrer l’Iran.
Car en Arabie Saoudite, la bête noire c’est l’Iran. Il faut qu’ils contrent le leader sheap de l’Iran Chiite.
J’ai vécu une expérience unique. J’ai vécu des Grands moments. Des moments douloureux aussi : lorsque j’ai été arrétée par la police religieuse avec une militante du droit de conduire, j’ai passé 4 heures 1/2 en garde à vue ou lorsque je ne pouvais pas prendre un verre ou déjeuner avec un homme qui n’était pas mon mari . Il a fallu que je fasse des entorses à ce que j’étais en tant que femme occidentale et parisienne.
Si c’était à refaire, je le referais. Ce fut une expérience très enrichissante!
Propos de Clarence Rodriguez recueillis par Dominique Planche
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