Léonore Chaix présente : la femme à qui rien n’arrive
En 2012, j’étais tombée sur un spectacle intitulé : “déshabilllez-mots” mise en scène par Marina Tomé, joué et écrit par Flor Lurienne et Léonore Chaix.
Les mots nous rappelaient leur importance et le temps d’une représentation, nous nous reconnaissions dans toutes les définitions jouées avec complicité, pétillance, intelligence, accompagnés de la féminité craquante des deux comédiennes : Flor Lurienne et Léonore Chaix.
Parmi les mots invités, il y avait entre autres le Quiproquo, l’Intuition, le Rien, le Compromis, l’Inconstance, le Lâcher-Prise, la Politesse...
Le temps est passé et la vie des deux complices a pris depuis des chemins différents.
En 2022, Léonore revient avec une création absurde et pourtant lourde de sens :
“la femme à qui rien n’arrive”
INTERVIEW VIDÉO
Interview suite :
Quand as-tu fini ton texte ?
LC : C’était pendant les 4 – 5 confinements, les 12 confinements qu’on a eus, je confonds toutes les périodes mais c’était l’année dernière donc en 2021 qu’on a quand même réussi à avoir des périodes de résidence avec ma metteuse en scène Anne le Guernec et entre les couvre-feu, les autorisations qu’on signait nous-mêmes parce que c’est ma propre compagnie (Equanime Compagnie), on a réussi à bâtir en plusieurs petites étapes sous forme de résidence le projet lui-même et mais on a quand même pris une bonne année de retard.
Vois-tu la réaction du public lors de ton prologue ?
LC : Il faut quand même rappeler que maintenant les spectateurs ont des masques et que ça change pas mal les choses.
Parfois c’est un cauchemar de voir les gens les yeux dans les yeux.
Pour un comédien parfois, pour certains spectacles ça ne colle pas du tout, là ça colle. On a un prologue qui doit durer trois minutes, cinq minutes je pense.
Pour nous dans notre tête c’est une anthropologue.
Une anthropologue un peu farfelue qui vient exposer un cas d’école en fait. Un cas d’école d’une femme à qui rien n’ arrive et elle commence à disséquer d’une manière assez absurde mais un petit peu philosophique quand même, à exposer ce cas d’école de cette femme à qui rien n’arrive.
Elle n’a pas de prénom, pourquoi ?
LC : Tout ça a dû être assez inconscient pendant l’écriture et en fait c’était pour moi de toute manière il s’agissait de quelque chose d’absurde, une équation qu’on ne peut pas résoudre et pour ça, pour atteindre une forme d’absurde, j’avais besoin de m’emparer plus que d’un personnage, d’une figure, une figure sans psychologie vraiment qui puisse représenter un peu l’humanité plutôt qu’une femme ou un homme ou un iel, ou je ne sais pas quoi.
Chaque fois que j’ai essayé de caractériser plus cette femme est de m’infiltrer un peu plus dans son intimité, de donner des détails sur sa vie ça ne marchait pas. Ça ne marchait pas et ça marchait que quand je la dépersonnalisais. Alors ça ne marchait pas sans doute dans le cours de l’absurde de cette histoire que j’essaye de raconter qui pour moi est plus une histoire sur l’humain.
Elle aurait pu être un homme vraiment. Je pense que je suis très très influencée par notre époque où finalement les gens ont des prénoms mais ces prénoms ne sont pas forcément toujours identifiables non plus et on est bien devenu un peu des choses en fait, des numéros.
Elle a d’ailleurs un numéro de série.
On ne sait pas grand chose de sa vie d’avant…
LC : Le seul truc qu’on sait un peu c’est qu’elle a demandé un extrait de naissance qui n’est jamais arrivé, elle a planté un noyau d’avocat qui n’a jamais germé, elle a sûrement été en couple parce qu’un moment elle dit qu’elle a déjà été dans le duo, être seul toute seule passe encore, être seule à deux ça double le problème donc c’est un peu les seules choses qu’on sait sur elle. Ce n’est pas forcément une femme dans sa cuisine qui fait des tâches ménagères.
Pour moi c’est par les tâches ménagères que je représente une sorte d’humanité qui se répète. C’est une sorte de Sisyphe, tu vois ce mythe de la pierre remontée qui redescend et qui remonte et qui redescend.
Pour moi c’est plus la métaphore de cette existence. Je suis moi-même terrassée par ça. On passe le temps à faire des choses qui vont se défaire, qu’il va falloir refaire et qui me désespère dans mon quotidien de ménagère très très primaire.
J’ai ri aussi de mes béances ménagères mais pour moi ce n’est pas forcément d’une ménagère dont je parle.
Veux-tu passer un message ?
EC : Surtout de ne pas se laisser dévorer par l’automatisation des machines et qui nous gouvernent de plus en plus. On est en plein dedans là !
Propos recueillis par Dominique Planche
Les mots ont toujours autant d’importance. Elle les manie avec grâce et beaucoup de profondeur.
Elle met en scène un personnage, qui aurait pu être un homme ou un non-genré, qui vit un quotidien minuté entre des pommes de terre à éplucher, une machine à laver et un ventilateur.
Le décor est simple, épuré, et représente un quotidien de Monsieur-Madame tout le monde.
Ce personnage assis sur une chaise nous fait participer à ce « rien » remplis de tâches répétitives qui nous semblent au départ sans intérêt.
Et puis le téléphone sonne et ce n’était pas prévu. Quelqu’un lui apprend qu’elle (le personnage) vient de gagner à un jeu où il va lui arriver quelque chose…
Avec dextérité, humour parfois et gravité aussi, Léonore nous montre à travers cette histoire, l’importance de profiter de chaque détail de la vie, de laisser arriver les choses sans les programmer.
Une très belle performance “seule en scène” !
Et la jolie Miss sait bouger son corps, professeur de Yoga oblige 🙂
Elle signale aussi le dictât des technologies qui modifie nos vies et nos attitudes sans aucune délicatesse.
La nuisance de la robotisation des contacts et de la communication est soulignée, nous sommes en plein dedans.
La pièce perturbe longtemps. Elle reste alliée de notre quotidien et prend encore du sens en donnant corps au rien qui devient notre tout.
Et lorsqu’il nous arrive une masse de choses, finalement, le rien devient un curieux soulagement que nous avons envie de vivre avec intensité.
A voir et à savourer absolument!
La Femme à qui rien n’arrive
de et par Léonore Chaix – Mise en scène par Anne le GuernecTous les lundis de 20h à 21h30 et jusqu’à fin mars 2022 au Théâtre La Girandole
Évènement Facebook (réservations)
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