Echange et matEchange et mat
– L’échange : ****
D’ESPOIR ET DE DESENCHANTEMENT
Ce texte de Paul Claudel écrit à seulement 26 ans, est d’une exigence rare. Il fait voyager dans l’espace des vies, dans la psychologie des personnage à une époque où la discipline est encore balbutiante. Deux couples font se faire face, dire pour l’un avec le lyrisme de leur jeunesse les envies, les rêves de grands espaces, de liberté et d’amours éternelles, blottis l’un contre l’autre dans une petite masure bien à lui, modeste mais à lui. Dire pour l’autre les espoirs déçus, le cynisme grimpant le long du corps vieillissant combien tout ceci n’est qu’un mirage qui aura tôt fait de passer. La gloire et l’argent ne font pas tout, la jeunesse non plus. Alors ils se racontent, ils s’épient, ils s’envient surtout. Les premiers veulent ce qui a déçu les seconds. Les seconds tentent de retrouver chez les premiers ce qu’ils ne retrouveront jamais.
UN ECHANGE OU TOUT LE MONDE PERD
Claudel montre dans cette œuvre encore très actuelle combien les lendemains déchantent, surtout lorsque la barre a été mise si haut. L’on aurait pu croire que chacun y trouva sans compte mais comme bien sûr il n’en fut rien. Car il est question de savoir si tout s’achète, si les traits encore frais de celui qu’on désire nous renverrons une image adoucie, insouciante, rajeunie. Mais un goût de bile envahit bien vite la gorge. Non rien ne sera jamais comme avant. Et ceux qui admirent à l’aube de leur vie la réussite, le confort, le statut social auront bien vite désenchanter à voir combien le temps dénature les nobles intentions comme les avenirs radieux.
4 comédiens puissants, physiques, se livrent dans une bataille contre leur partenaire, contre celui ou celle qui veut lui arracher sa moitié ou son temps. L’ivresse douce d’abord puis cruelle et destructrice ensuite, guide finalement chacun de leur pas. Quel reflet magnifiquement sombre que cette danse macabre nous renvoie de notre société “moderne”. La pièce et la troupe qui la portent ne prétendent pas expliquer comment on en est arrivé là. Pas question de jugement mais d’un grand désarroi. Claudel aurait-il annoncé l’existentialisme de Sartre et Camus ? La représentation m’en a convaincu…
Théâtre contemporain : environ 2 h
Auteur : Paul Claudel
Metteur en scène : Jean-Christophe Blondel
Avec : Valérie Blanchon, Pierre-Alain Chapuis, Pauline Huruguen, Yannik Landrein
Du 4 au 15 mars, du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 17 h.
Pitch :
Quelque part sur la côte Est des Etats-Unis, à l’aube du XXe siècle. Louis-Laine, un jeune Indien, a traversé l’Atlantique, découvert un bout de la France, y a rencontré une paysanne, Marthe, l’a épousée aussitôt, et ramenée dans son pays. Mais ce pays n’est plus celui de ses ancêtres, il n’y a plus de place pour la chasse et l’errance au milieu des champs, de l’industrie et de la ville. Tous deux survivent sans travail dans la cabane de jardin d’un grand entrepreneur, Thomas Pollock Nageoire, et de sa compagne Lechy Elbernon, actrice célèbre. Le jour se lève et la pièce racontera la dernière journée du fragile amour de jeunesse qui unit les deux jeunes époux. Louis-Laine a passé la nuit avec Lechy. Et Thomas Pollock a décidé de prendre Marthe pour épouse. La journée sera le temps d’un échange, épouvantable déchirement amoureux, mais aussi, d’une transition fondamentale, où les valeurs anciennes sont réduites en pièces par la marchandisation des personnes et des sentiments.
“L’échange”, ça commence par l’espace, le ciel. Chaque personnage y projette ses sentiments, y mesure sa place, comme ces minuscules spectateurs dans les peintures chinoises. Claudel nous parle parce qu’il maintient un lien palpable entre nos tensions intérieures, le paysage, les bouleversements sociétaux, l’univers. La vaste scène sera arpentée avec l’énergie de ces Indiens puis de ces Blancs, qui conquirent ce continent trop grand pour eux, d’abord dans l’espoir, puis dans le désenchantement. Le jeu sera physique, les placements, graphiques, et les deux couples se feront face comme deux âges de l’amour et de la vie, chacun désirant l’autre, enviant chez l’autre l’avenir qu’il n’aura pas ou les chances qu’il a gâché. La parole oscillera entre un naturalisme rapide, brillant comme la jeunesse – les vers de Claudel mimant notre machine à penser bien mieux que toute prose – et un lyrisme absolu – parce que Louis-Laine le vagabond, l’inadapté, c’est Rimbaud, dans son élan et dans sa chute.
Réservations directement sur la page consacrée au spectacle sur le site du Théâtre de l’Opprimé
78 Rue du Charolais, 75012 Paris
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