Portraits et InterviewsThéâtre

Rencontre avec Sergi López

30/40 LIVINGSTONE ****

LIBRE ET POLITIQUE

 Titre énigmatique, s’il en est. La pièce de Sergi López et Jorge Picó l’est tout autant, qu’on se le dise. Mais rassurez-vous, les Catalans ne font pas dans la branlette intellectuelle. Les pieds fermement collés au sol et la tête dans les nuages, le tandem se plait à raconter une vie, nécessairement autobiographique pour partie, délicieusement fantasmée pour le reste. L’air de ne pas y toucher, Sergi et Jorge nous propulsent dans un conte philosophique barré et drôle, une chorégraphie inattendue où se mêlent questions métaphysiques sur le sens de la vie, désir d’ailleurs et d’autre chose, considérations sociétales, humanistes et spirituelles.

L’art de dire le profond, le sensible, l’essentiel en faisant les clowns pour de faux et pour de vrai aussi. Une gageure car comme je l’écrivais dans la chronique consacrée à “Le philosophe et la putain”, la philo m’emmerde, les tirades théâtreuses m’emmerdent. Le temps est venu de dire le simple. Tout s’y tient, tout s’y cache. Dépouiller l’écriture, gratter jusqu’à l’os, retirer le superflu. C’est approcher d’une vérité, toujours inaccessible, mais en percevoir les contours. Comme après un rêve dont on ne se souvient plus mais laissant une trace demeure en vous pour toujours, un mirage doux et fugace qui aura changé un truc dans votre vie. Changer votre vie, qui sait ?

Fallait-il tuer Dieu ? La quête de liberté nous a inexorablement conduit vers un enfermement, une illusion, une tromperie. Les dieux de l’époque laissent croire à l’immédiateté, au consumérisme. A sa manière poétique et salvatrice, “30/40 Livingstone” libère le corps pour mieux libérer l’âme. Ce duo-dacieux participe du ré enchantement du monde, ce processus si cher à l’astrophysicien Hubert Reeves. Cet homme si petit et si grand qui nous explique que l’on ne sait rien ou si peu, avec force humilité et voix douce comme le miel.

Ces deux auteurs-comédiens-metteurs en scène un peu jobastres mais que d’un œil, comptent parmi ses disciples et ne le savent probablement pas. Je m’en vais poser la question à Sergi… ou pas :

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VdO : Sergi, est-ce là ton premier projet d’écriture ?
SL : Non pas du tout. Depuis que j’ai décidé de faire du théâtre à un niveau professionnel, et même avant, j’ai toujours eu envie d’écrire mais aussi de mettre en scène, de produire et de diffuser. Nous avons tendance à tout faire par nous même au travers de petites structures comme celle que nous avons créée avec Jorge pour cette pièce-ci. Nous aimons tout faire par nous-même et cela permet à un projet d’exister sur la durée, 3 ans, 5 ans, 10 ans…
VdO : Comment travaillez-vous avec Jorge ? Tout est fait à 4 mains, l’écriture, la mise en scène, la scénographie… ?
SL : Le processus est assez bizarre. En fait nous passons beaucoup de temps à discuter, à échanger, à commenter l’actualité. L’approche est toujours politique, au sens sociétal du terme. Certains éléments peuvent être intégrés à une création donnée. Et on brode autour, avec cette idée de ne pas savoir précisément où cela va nous conduire mais avec l’ambition de ne pas faire de l’entertainment. Même si nous ne nous prenons pas au sérieux, même si on s’amuse beaucoup, si on délire, nous cherchons à dire des choses, à donner du fond, à raconter des choses un peu profondes sous le vernis d’un truc dont on ne sait pas a priori si c’est de la merde ou s’il contient quelque chose d’intéressant.
VdO : Cette histoire parle finalement beaucoup du sens de la vie. Un motif d’inquiétude ou un sujet d’interrogation ?
SL : Oui, nous en parlons tout le temps. Nous ne savons pas ce que nous faisons ici et maintenant. C’est une question essentielle
VdO : Pour avoir vu la pièce deux fois, il m’a semblé que le propos pouvait s’avérer autobiographique.
SL : Il y a nécessairement une part autobiographique dans l’écriture. Je n’ai pas un père qui correspond à celui dépeint dans la pièce. Mais j’ai connu à ma façon ce parcours consistant à choisir ma voie, à “tuer le père” pour me construire et m’accomplir dans quelque chose qui me plairait. Mon père ne m’a pas empêché, au contraire. Il ne pensait sans doute pas que jouer la comédie durerait aussi longtemps mais il voulait que je fasse quelque chose de ma vie plutôt que de ne rien foutre !
VdO : Sérieux, Sergi, c’est quoi ce bordel avec le tennis ? Tout est assez chorégraphié, il y a un dialogue entre les mots et la gestuelle. Mais le tennis ? Un cerf qui joue au tennis ?!
SL : On ne sait pas très bien ce qu’est ce cerf. Un animal, un dieu, un symbole, l’image du père ? Pour nous il s’agissait peut-être d’un dieu païen incarné dans un être humain. Comme la création se fait toujours autour du geste, du mouvement, il nous fallait trouver une activité physique ramenant cette créature à l’homme. Les mouvements opérés dans ce sport étaient à la fois drôle et facilement identifiables.
VdO : Le cerf représente le Christ dans la religion catholique. Je présume que votre choix n’était pas anodin. Mais ce dieu devient ensuite, suivant plusieurs niveaux de lecture possibles, un dieu du sexe, ou encore du consumérisme. Lequel avez-vous tué ?
SL : Nous aucun ! Mais l’Homme a tué Dieu et il s’interroge sur la nécessité de tuer les faux dieux auxquels il a fini par s’adonner.
VdO : La scène finale fait aussi écho à l’actualité, à des questions morales sur la fin de vie. Les plus faibles, les malades, les exclus, les différents… peuvent aussi être représentés par cette figure du cerf..
SL : Oui. La société est violente même aujourd’hui. J’ai un ami qui sauve de vieux chevaux de l’abattoir. Il les récupère dans les Pyrénées pour leur permettre de terminer leur vie tranquillement. Cette scène peut aussi faire penser à Georges Orwell. Chacun peut y voir ce qu’il a envie d’y voir…”
Vous n’avez pas tout compris ? Moi non plus ! Entre onirisme et réalité, il vous faudra trancher, réfléchir, hésiter. Vous verrez, ça fait un bien fou !

Comédie philosophique d’1h20 environ

Auteur : Sergi López, Jorge Picó

Metteur en scène : Sergi López, Jorge Picó

Avec : Sergi López, Jorge Picó

 

Jorge Picó & Sergi López

Jorge Picó & Sergi López

PITCH

Sergi López, formidable en bonimenteur obsédé par les animaux exotiques, campe un explorateur rêvant de mettre la main sur une créature légendaire. Mêlant considérations tennistiques de haute volée et humour anthropologique, 30/40, Livingstone est la chronique azimutée d’un voyage à la découverte de soi.

Comédie philosophique d’1h20 environ

Auteur : Sergi López, Jorge Picó

Metteur en scène : Sergi López, Jorge Picó

Avec : Sergi López, Jorge Picó

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Bande annonce

Du 1er octobre au 19 décembre 2015 – du mardi au samedi à 19h00, au Théâtre de la Pépinière

Théâtre de la Pépinière

7 rue Louis Le Grand – 75002 Paris

Plan d’accès

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Sergi Lopez et David Fargier (Vents d’Orage)

Réservations

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